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Bon anniversaire Jean-Paul

Oh tu sais, moi en dehors de Jean-Sol Partre,
je ne lis pas grand-chose.

Boris Vian L’écume des jours

Vous n’êtes pas sans vous être aperçu de la célébration il y a quelques semaines du centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre. Quand j’ai parlé de mon intention de faire cet article à un ami, anarchiste de longue date, il m’a dit à quel point à son avis le courant anarchiste avait perdu de ne pas s’être penché sur la philosophie existentialiste au moment où elle prenait son essor. Pour lui, les anarchistes étaient passés à coté de quelque chose d’important. J’avoue que pour moi cette importance m’échappe. Je n’ai pas de formation philosophique. Je suis peu réceptif à ce genre de spéculations. Donc mon propos prendra une autre direction. Pour moi, Jean-Paul Sartre s’est illustré dans l’actualité politique par les positions qu’il prenait. Courageuses, probablement, compte tenu de l’époque, lucides, pas à mon avis.

Dans le numéro spécial de Libération, un auteur, chinois, décrit bien l’ambiguïté de celui que Giscard appelait « Maître » et que De Gaulle refusant de le poursuivre devant les tribunaux, comparait à Voltaire :
« En 1978 la position antiautoritaire de Sartre plaisait naturellement aux jeunes Chinois. Dans un environnement où il fallait obéir, Sartre était pris comme un symbole de désobéissance, un drapeau de la pensée. [...] La Chine dans son regard (celui de Sartre ndlr) était celle de Mao Zedong. Le seul Chinois à ses yeux était Mao Zedong. »
Pendant toute sa vie politique Jean-Paul Sartre a balancé entre ces deux situations. Si à la fin de sa vie il participe à la création de Libération, il a peu de temps auparavant vendu à la criée « La cause du Peuple » avec la gueule de Mao en médaillon, ce qui ne lui posait aucun problème.

Après un bref passage en politique à son compte de 48 à 49, au sein d’un petit parti de gauche, il entame un rapprochement étonnant vers le Parti communiste, alors que la vérité commence à se faire jour en France à propos du Goulag avec le procès intenté contre David Rousset par le PC pour calomnie ainsi que celui intenté par Victor Kravchenko, un apparatchik russe évadé, contre l’hebdomadaire culturel communiste Les Lettres Françaises.
Socialisme ou Barbarie dans un long texte paru en Août 1953, intitulé « Sartre, le stalinisme et les ouvriers » démonte l’argumentaire de Sartre tel qu’il apparaît dans " Les communistes et la paix " série d’articles paru en 52 dans les Temps Modernes. On pourra lire sous la plume du penseur existentialiste des choses comme : « Si la classe ouvrière veut se détacher du Parti, elle ne dispose que d’un moyen : tomber en poussière. »

Il faudra l’insurrection de Budapest en 1956 pour qu’il rompe avec le Parti communiste. La condamnation sans appel de l’URSS telle qu’il l’exprime dans un article paru alors dans l’Express ne l’empêche pas d’avoir un jugement surprenant à propos de la situation de ce pays.
Il estime qu’à ce moment là « l’U.R.S.S. avait réussi le " socialisme en un seul pays ", chez elle » et que son erreur c’est d’avoir voulu « rééditer plusieurs " socialismes en un seul pays " ».

Un peu plus loin Sartre reconnaît le besoin de démocratisation des pays satellites. Voici comment il la conçoit : « la démocratisation est une chose qui ne peut tenir que dans une révision complète des rapports de l’Union soviétique avec ses satellites. Cette démocratisation ne peut être réalisée que dans une organisation des pays satellites conçue en fonction de leurs intérêts propres plus que de ceux de I’U.R.S.S. [...] Cette union de tous les pays du mouvement socialiste s’effectuerait sous la direction de l’U.R.S.S. »

Comme on peut le voir, la critique du système soviétique faite par Socialisme ou Barbarie lui passe loin au-dessus de la tête. S’il rompt avec le PC il ne modifie pas son opinion sur le pays du socialisme réel.
En 1973, il répond à une interview du journal branché de l’époque, Actuel, à propos de sa conception de la révolution. « La révolution, dit il, implique la violence et l’existence d’un parti plus radical qui s’impose au détriment d’autres groupes plus conciliants. [...] Il est inévitable que le parti révolutionnaire en vienne à frapper également certains de ses membres. Je crois qu’il y a là une nécessité historique à laquelle nous ne pouvons rien ». Le journaliste d’Actuel, semble un peu interloqué et demande alors : « Faut il en prendre si facilement son parti ? On peut se poser le problème avant la révolution et chercher à échapper à cette nécessité ».
Sartre a alors cette réponse merveilleuse : « Cela ne servirait pas à grand-chose. Tout au plus peut-il se trouver des héros qui soient capables d’intervenir pour faire respecter le débat démocratique. On ne peut rien dire ni souhaiter de plus ».

A la fin de cet article je ne peux m’empêcher de penser à un autre penseur que beaucoup estiment énormément : Heidegger. Ceux qui y font référence sont toujours obligés de réfléchir à sa complicité avec le régime nazi. Cette nécessité n’a pas lieu d’être semble-t-il pour Sartre, comme si sa pensée philosophique était autonome par rapport à sa pensée politique.
Aujourd’hui encore quand vous déclarez publiquement que vous êtes anarchiste, il y a toujours quelqu’un qui vous pose une question sur les attentats d’il y a un siècle. Si vous vous dites communiste ou trotskyste personne n’aura le mauvais goût de vous parler du Goulag ou de Cronstadt. Il vaut mieux avoir fait disparaître des millions de personnes au nom de la révolution que d’avoir posé quelques bombinettes artisanales et tiré quelques coups de revolver par désespoir devant les meurtres de ses amis.

Pierre Sommermeyer