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Du procès Eichmann au Vicaire

Le procès Eichmann commence le 11 avril 1961. Est-ce nécessaire de rappeler qui fut ce sinistre personnage ? Son procès ne pouvait donner lieu qu’à sa condamnation à mort, il fut probablement le seul à croire qu’il allait sauver sa tête. Ce procès allait donner lieu à un grand nombre de publications et de débats sur lesquels il sera peut-être nécessaire de revenir tant la question va se révéler plus importante que l’on ne pouvait le penser.
Le Monde Libertaire va en rendre compte dans son numéro de mai 61 en première page sous un titre lumineux « Un petit employé » ! Après en avoir retracé rapidement le contexte historique, l’auteur, Henri K, écrit « que le spécialiste de la question juive est entre les mains des survivants de ces communautés qu’il a recensées avec une rare conscience professionnelle ». Il conteste les doutes exprimés par des juristes « bourgeois » quand à l’objectivité de la justice israélienne qui serait juge et partie. Pour lui il est évident « que l’affaire est faite et il n’est pas un homme digne de ce nom qui peut souhaiter le contraire ». Il ajoute que « la grande peur de nos sociétés, tant à l’Ouest qu’à l’Est c’est que ce procès contribue à l’éveil des consciences et prouve à la fois leur culpabilité et leur complicité dans la tentative d’extermination totale d’une race qu’ils ont combattue et qu’ils combattent ». Suit alors un réquisitoire complet contre cet « être infâme » qui se réfugie « derrière les ordres, l’obéissance et la discipline propre aux soldats ». Henri K rappelle qu’à sa fonction de pourvoyeur des chambres à gaz « s’ajoutait l’organisation de leur (les juifs) exploitation économique et la réalisation des biens juifs volés, des devises aux dents en or ». De même il nie il nie l’irresponsabilité de celui « qui prouve que les gaz sont les seuls moyens à haut rendement, quel la fusillade est matériellement impossible et trop pénible pour les SS du fait de la présence de femmes et d’enfants ».

Notre compagnon termine sur deux affirmations importantes qui ont encore du sens, et ce n’est pas peur dire, aujourd’hui : « Dénoncer les manifestations du racisme quel qu’il soit, l’existence de camps de mort plus ou moins lente, les situer géographiquement, en rendre responsable telle ou telle nation, ne sert à rien si on ne dénonce pas les origines communes du mal : l’ignorance et l’absence de dignité humaine ». Il ajoute « Racisme et univers concentrationnaire sont étroitement liés au Patriotisme et au Militarisme, l’un crée l’esprit, l’autre réalise dans la forme. Il ne peut terminer sans faire allusion à ce qui se passe alors de l’autre côté de la Méditerranée, la guerre d’Algérie finissant : La peur d’un changement qu’ils (militaires bornés et lâches, policiers et technocrates arrivistes, bourgeoisie mesquine et avide) pressentent les rends plus cruels et dangereux. Leur victoire remettrait plus que jamais à l’honneur ce pourquoi Adolf Eichmann est jugé aujourd’hui.

Peu de temps après le début de ce procès l’ineffable Rassinier va produire un écrit intitulé Le véritable procès Eichmann ou les vainqueurs incorrigibles. Ceux qui seraient intéresser par cet écrit pourront le trouver en ligne quelque part. Rassinier y répète ce qu’il avance dans le Mensonge d’Ulysse dont nous avons déjà suffisamment parlé. Il faut néanmoins reproduire ce que déclare Jean-Paul Samson dans le numéro32 de Témoins au printemps 1963 :
« j’avais pensé (comme l’a bien montré l’hospitalité que ne lui refusa pas « Témoins ») pouvoir, sur la foi de la confiance que lui accordaient d’excellents amis, admettre que
l’auteur du « Mensonge d’Ulysse », dût-il bien souvent paraître se tromper, obéissait à un
authentique besoin de chercher et de dire le vrai ». Samson ajoute « Paul Rassinier en est venu peu à peu à s’imaginer que la vérité est toujours l’opposé des notions admises. Pour le plus grand plaisir, sans doute, des nazis impénitents et des amis de l’OAS, il prétend ainsi, dans son dernier livre, démontrer non seulement que le procès Eichmann est « illégal » — c’est peut-être vrai, mais ce qu’on s’en fout ! — mais encore que le repoussant obsédé de la « solution finale » ne fut jamais autre chose que conséquent avec lui-même. Un innocent, pour ainsi dire ». Avant de terminer en disant que Rassinier « auteur de pareilles bassesses est, à
mon avis, un égaré peut-être, mais en tout cas définitivement disqualifié ». Samson résume ainsi ce livre « …le coupable entêtement que montrent l’Etat d’Israël et les juifs en général à ne pas laisser oublier les horreurs subies par leur peuple s’expliquerait, selon la jugeote avisée de notre profond analyste qui se souvient apparemment d’avoir jadis ânonné le rudiment du matérialisme historique dans sa forme la plus simpliste, par le seul souci d’obtenir de l’Allemagne de plus fortes indemnités. « Il s’agit ici, peut-on lire (avec un haut-le-corps) d’une assez sordide histoire d’argent » (p. 40).

A la même période, Noir et Rouge, le groupe radical anarchiste, ne mentionne pas dans son bulletin le procès Eichmann (N°18-Mars - Mai 1961). Dans une longue étude sur le racisme son auteur, Shumak, reconnait que « l’antisémitisme est de loin le préjugé le plus profondément ancré en France, le plus difficilement extirpable. ». Certes l’existence d’une certain complotisme peut expliquer cela. Mais il y a aussi la propagande réactionnaire. « En désignant ‘’le juif’’ comme responsable de la misère ouvrière, elle assure au patronat clérical une ombre propice à la continuation paisible de son exploitation ». Elle ajoutera « s’ils vous exploitent c’est parce qu’ils sont juifs ». Suivra alors une explication historique de la construction de l’idéologie antisémite au cours des siècles. La question des kibboutzim est aussi abordée « Ils mériteraient d’être tout particulièrement étudiés ». Nous reviendrons sur ce sujet dans un autre chapitre.

Le débat qui s’est installé mondialement autour du procès Eichmann ne semble pas avoir intéressé le monde anarchiste francophone. Le réquisitoire à l’encontre de ce type, sa condamnation à mort et son exécution le 31 mai 1962 ne seront pas mentionnés dans le Monde libertaire du moment. Il faut rappeller que parallèlement et bien plus menaçant, la fin de la guerre d’Algérie et son lot de soubresauts fascisants menace la France encore métropolitaine. Le Monde libertaire du mois de décembre 1961, titrait en première page OA/SS. Au mois d’Avril suivant le siège du journal était plastiqué. A Jérusalem, tout au long du procès une philosophe exilée allemande aux Etats Unis, Hannah Arentdt, est là en tant qu’envoyée spéciale pour le New Yorker. Son reportage rassemblé et publié en 1953 sous le titre Eichmann à Jérusalem va faire scandale à cause de son sous-titre : Rapport sur la banalité du mal. Il ne sera traduit en français qu’en 1966.

La question du massacre systématique des juifs par les nazis reviendra dans les colonnes du M.L. par le biais d’une critique de théâtre.

Décembre 1963, une pièce de théâtre crée le débat à Paris. Elle a pour nom Le vicaire (Der Stellvertreter). Elle a été écrite par un Allemand, Rolf Hochhut. Elle met en scène un SS catholique scandalisé par le sort fait aux juifs et par le silence du Pape à ce propos. Lorsque la pièce est montée Pie XII est mort depuis cinq ans, et c’est plus généralement l’attitude de l’Église catholique durant la guerre que Rolf Hochhuth dénonce. Le Monde libertaire en rend compte dans son numéro du mois de janvier de l’année qui suit. Il s’y trouve deux articles, le premier de P.V. Berthier, porte sur le fond, celui de Jean Rollin plutôt sur la pièce elle-même. Que dire du premier si ce n’est en retranscrire le début. Au moment où ce texte est écrit, l’information circule à propos d’un voyage du Pape Paul VI en Israël.

[…] je pense que le porte-parole du peuple israélien l’accueillera en ces termes : « 0h !, saint Père Paul VI, nous te saluons, mais en toi nous saluons surtout, avec joie, avec reconnaissance, ton prédécesseur entre tous béni des Juifs, le très vénéré et très benoît Pie XII, celui qu’en son cœur chaque Juif nomme « le Vicaire », et que nous admirâmes pour sa grandeur, pour sa noblesse et pour son intrépidité. » Comment pourrions-nous oublier, nous les Juifs, l’attitude sublime de ce pasteur à qui nous devons tant ? C’était en des temps infernaux, où l’Europe était à feu et à sang. Un despote sanguinaire, qui l’avait submergée de sa soldatesque, fit arrêter des millions de Juifs, les achemina vers son pays dans des convois atroces et entreprit de les exterminer. Ces innombrables innocents désarmés étaient promis aux fours crématoires, €t déjà l’odieux massacre commençait, quand soudain ... Oui, soudain, face au Sicaire se dressa le Vicaire ; face au Reître se dressa le Prêtre. Devant le Führer en fureur on vit - ce fut une illumination ! - s’avancer l’Agneau Très Doux. Et ce divin monarque, d’une voix que le monde entier répercutait, dénonça le crime, exigea notre grâce : « Ne les tuez pas ! Dieu même vous l’interdit. Ils ont beau être des Juifs, étrangers au troupeau d’âmes dont Jésus m’a confié la charge, je ne peux pas permettre une aussi horrible abomination ! Toute la terre trembla, le national-socialisme chancela sur ses bases. La croix du Christ allait enfin ouvrir la croisade contre la croix gammée impie ! » On sait la suite. L’infortuné Pie XII fut appréhendé par les SS, comme autrefois son prédécesseur Pie VII l’avait été, lui, par les sbires napoléoniens. Il fut emmené en déportation ainsi qu’un vulgaire Daladier, Blum ou Paul Reynaud, ces profanes, ces laïcs. Mais il continuait de protester témérairement, en apôtre qui ne redoute· que l’Au-Delà et la justice de son Dieu ; alors ces brutes le firent mourir ... comme certains de nos coupables ancêtres, dit-on, firent jadis mourir le Christ. · » Ainsi Pie XII se sacrifia, acceptant le martyre.

Parfois la satire est plus efficace que tout discours, en peu de mots tout est dit. Rendant compte de la pièce elle-même Rollin avance que « L’auteur s’est avant tout voulu historien. 1l n’est pas1’accusateur établissant un constat froid et lucide. Ce qu’il présente n’est pas un réquisitoire. C’est le principal défaut de la pièce. Il s’attache à démontrer, à prouver, plutôt qu’à exposer ». Rollin critique ensuite la pièce d’un point de vue stylistique. Il y avait selon lui tout ce qu’il fallait pour appliquer les théories brechtiennes de la distanciation. Ce ne sera pas le cas. Puis vient la critique politique du Vicaire. Pour l’auteur de l’article il est évident que le Pape avait pris le parti du plus fort à ce moment-là, « la sauvegarde de quelques Juifs ne sauraient l’absoudre, et tout au plus être considéré que comme peu de lest donné aux chrétiens horrifiés ». Après avoir affirmé cela, Jean Rollin discute le rôle d’un curé qui va se livrere aux fours crématoires pour partager le sort de ses frères Juifs. Il aurait mieux fait, dit-il, de réclamer des armes pour aller se battre. En conclusion, il trouve qu’ « On peut donc considérer cette pièce comme un règlement de comptes entre chrétiens libéraux et chrétiens aveugles ».

Rollin rapporte une anecdote risible. Ces représentations ont suscité leur lot de contre-manifestation. Un tract, signé un catholique moyen était distribué alors à la sortie. L’auteur rapporte une partie du contenu : « Le plus savoureux passage du tract distribué prétend que la « consécration au cœur immaculé de Marie » dont s’occupait Pie XII en plein massacre, était une prise de position en faveur des Juifs, puisque la Marie en question était elle-même israélite. Voilà qui laisse rêveur ». Nous aussi !

Il faut revenir sur l’argument principal de cette pièce, à savoir la personnalité historique de ce SS catholique scandalisé qui n’arrive pas à alerter le mode sur le sort fait aux juifs. Il s’appelle Kurt Gerstein (1905-1945). Chrétien protestant, proche de la partie oppositionnelle à Hitler, il a beaucoup écrit et raconté ce qu’il a vu, ce à quoi il a assisté. L’horreur de première main. Traumatisé, ses informations semblent parfois non-conséquentes comme par exemple quand il avance que 25 millions de juifs seront gazés. C’est dans ces incohérences que vont plonger les négationnistes dont Rassinier qui leur ouvre la voie ! Dans une brochure rééditée par la Vieille Taupe en 1965 et trouvable en ligne, au titre évocateur L´opération vicaire - Le rôle de Pie XII devant l´histoire, il va tenter d’expliquer et justifier la fonction d’un pape tentant de maintenir l’équilibre entre nazis et staliniens, entre Allemagne et Union soviétique. Arguant de son expérience concentrationnaire, il va déduire des inexactitudes de Gerstein l’absence des chambres à gaz. Ce sera aussi pour lui l’occasion de dénoncer pour parti pris tous ceux qui ont travailler sur le sujet comme Saül Friedländer, accusé de manipuler les archives, entre autres. D’Albert Camus, il dira « S’il fallait rayer de l’histoire tout ce qu’Albert Camus n’a ni vu ni entendu, il n’en resterait pas grand-chose. A ce compte-là il serait lui-même rayé de l’histoire ».

Ce qui est frappant dans cet écrit, et que l’on retrouvera plus tard dans d’autres écrits négationnistes, c’est l’abondance de citations, d’extraits de documents, le tout articulé de façon tout à fait convaincante. Comme toujours, les prémisses sont passées sous silence, la liquidation des juifs par les Nazis a bien eu lieu.

Il me manque le numéro de juin 1962 pour savoir si l’exécutiuon de E est mentionnée