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Un fantôme en Australie

Tout le monde a vu des images de l’Opéra de Sydney, cette magnifique construction blanche sur une presqu’ile. Ce matin là, pluvieux, nous nous promenions de l’autre côté de la baie, ma compagne et moi quand nous avons marché sur une plaque de bronze. Il y était inscrit « Pathways to réconciliation. Together we’re doing it » (Sentiers vers la réconciliation. ensemble nous y allons). Un série de points en escargot l’illustrait. Un peu plus loin sur un mur, cette fois, une autre plaque, en bronze elle aussi, portait l’inscription suivante « Le 28 mai 2000, plus de 250 000 personnes traversèrent le Pont du port de Sydney (Sydney Harbour Bridge) en soutien à la réconciliation. Dans les mois qui suivirent encore un million d’Australiens participèrent à des marches similaires à travers le pays ». C e texte en anglais était suivi de trois mots, pour moi incompréhensibles « Mari budjari yana » De quoi s’agissait il, avec qui voulait on se réconcilier ?

Là depuis cinquante mille ans

En venant dans ce pays, le voyageur sait que d’une façon ou d’une autre il va croiser des Aborigènes. il lui sera difficile de ne pas les remarquer tant leur apparence est différente du reste de la population qui est elle extrêmement mêlée. Hormis les gens d’origine européenne, l’Australie est un eldorado pour les peuples d’Asie comme du sous-continent indien. Le touriste au gré de ses pérégrinations passera devant telle ou telle de ces plaques. Deux exemples, devant une église : « Les membres de la paroisse de St Oswald reconnaissent que cet endroit de réunion et de prière s’élève sur la terre des ses propriétaires traditionnels, le Peuple Wurundjeri », au grand jardin botanique de Melbourne un panneau, à l’entrée, informe notre touriste que « cet endroit se trouve sur les terres ancestrales du Peuple Boonerwurrung, une importante communauté côtière de la Nation Kulin. La Kulin Orientale est une fédération de cinq groupes langagiers qui partagent de fort liens tant spirituels que culturels. Depuis des temps immémoriaux les Boonerwurrung et la Nation Kulin comme ensemble dans ce vaste espace de plus de deux millions d’hectares que couvre aujourd’hui le centre de l’Etat de Victoria et le sud de celui des Nouvelles Galles du Sud ».

Devant les bâtiments officiels flottent deux drapeaux, celui de l’Australie, bleu avec l’Union Jack britannique et la Croix du sud, l’autre portant les couleurs aborigènes cercle jaune sur fond noir et rouge. Tout cela est bien beau, mais à première vue le touriste ne voit aucun Aborigène, hormis dans les promenades à touriste où ils font la manche en jouant du Didjeridoo, long tuyau creusé dans une branche d’eucalyptus. Quand on cherche sur Internet, dans la littérature générale, on trouve des informations en nombre à propos de ce processus de réconciliation. Le mouvement de revendication aborigène s’est formé les années soixante. Probablement sur l’exemple de ce qui se passait aux Etats Unis. Cela culmine avec l’apparition du drapeau aborigène en face du Parlement australien en 1972 devant la tente de l’ambassade aborigène. Depuis ne nombreux actes ou décisions juridiques ont eu lieu. Mais, au fond, comment une réconciliation peut elle avoir lieu entre des gens qui d’un côté occupent vos terres et en face d’autres qui rappellent que ces terres leur appartiennent depuis des millénaires ? Il s’agit donc d’une côte mal taillée. La majorité des arrières grand parents européens, étaient britanniques, malfrats et prostituées pour la plupart. en tous les cas des gens dont la Grande Bretagne se débarrassait. Arrivés là, à fond de cale, après des mois de navigation dans des conditions horribles, ce continent semblait s’offrir à eux. Il n’y avait pas de retour en arrière possible. Les Aborigènes eux sont arrivés en Australie, il y a plus ou moins 50 000 années ! Depuis ils n’ont pas trouvé nécessaire de créer un Etat, intéressant, non ?

L’irruption aborigène dans l’art contemporain.

Quand nous évoquons l’art aborigène nous pensons tout de suite à un ensemble de points colorés organisés de façon étrange. Peint sur des écorces, tracés dans le sable, ils ont tous une dimension dite sacrée. Ces points sont l’expression « écrite » du « Dreaming ». C’est un terme bien ambigu. En traduction littérale, cela veut dire « en rêvant » ce qui fait des Aborigènes des rêveurs, des gens qui ne sont pas réalistes. Un anthropologiste avait tenté dans les années 40 de définir le discours aborigène par ce terme « Everywhen » ( tout en même temps) qui correspondait selon lui mieux à cette façon de rendre compte de la réalité qui englobe tout à la fois la cosmogonie, la relation des Aborigènes au temps comme à l’immensité du pays-continent comme le mode de fonctionnement quotidien. C’est d’une certaine façon la totalité de cela qui est reproduit sur ces écorces d’arbres ou dans ces dessins sur la sable. 50 000 années d’informations ! Comment les transmettre autrement que par un ensemble organisé de points ?

Il advint au début des années soixante-dix que des Aborigènes se rendirent compte qu’il était possible de peindre autrement que sur des écorces. Cela commença par une grande fresque sur un mur d’école. Son titre ouvre le champ à l’imagination : « Honey Ant Dreaming » (miel, fourmi, rêvant). Cela se révélera par la suite comme l’événement fondateur d’un grand mouvement de peinture contemporaine. Cette école était située à Papunya, dans un désert au centre du pays, où plus de 2 500 aborigènes avait été artificiellement rassemblés. Plus tard dans une « station » de 3500 km2 de désert nommée Utopia, des femmes qui étaient occupées à coudre des tissus, prirent conscience qu’il était possible de peindre dessus et d’avoir ainsi de plus grandes surfaces à leur disposition. Cette nouvelle production picturale sera accueillie avec beaucoup de résistance par la communauté artistique européenne. Avec la complicité active de certains Australiens, des expositions seront organisées à l’étranger. La reconnaissance viendra alors comme cela.

Aujourd’hui, tous les musées australien d’art contemporain ont une division consacrée à l’art aborigène. A Sydney, à l’entrée du Museum of Contemporary Art trône une grande toile, peinte par un artiste aborigène. C’est une copie du célèbre tableau représentant le capitaine Cook prenant possession de l’Australie au nom de la Reine Victoria. En bas, en bandeau, il est écrit « we call them pirates out here ». Cela se passe de traduction. Aujourd’hui le marché de l’art australien voit passer beaucoup de ces toiles, dont un grand nombre, peut être la moitiés, et à mon avis les plus surprenantes, sont peintes par des femmes. Cela seul est, dans le monde de l’art contemporain, une exception. Comme dans tout marché les prix atteignent des sommets. Les œuvres de Emily Kame Kngwarreye, considérée comme la plus importantes des artistes aborigène, atteignent le million de dollars. Morte à 86 ans, elle a commencé à peindre dans les années 80.

Aujourd’hui, à Alice Springs, au cœur de la région désertique qui vit naître ce formidable mouvement créatif, il y a nombre de galeries. elles vendent ces peintures au chaland. Quand tombe la nuit, à 6 heures le soir, les rideaux de fer de ces magasins tombent. La vie s’arrête. Tout est noir, seuls les Aborigènes, fantômes sombres, hantent ces rues désertes, créant l’inquiétude dans les têtes des rares touristes encore dehors. Même artiste, un noir est un noir.

Pierre Sommermeyer